VOIR LES POTERIES
Aujourd'hui, c'est pêche aux oursins. Nous avons pris un matelas pneumatique. Nous l'avons chargé d'un sac de courses rempli de masques, tubas, couteaux, gants de vaisselle ( qui vont être nos protections contre les épines ) et, hop, poussée par nous trois en nage palmée, notre embarcation prend le large . Mon père, mon frère et moi partons à la guerre aux oursins de l'autre côté de l'île, sous la falaise à pic
Plusieurs mètres sous l'eau, les oursins sont accrochés à la paroi : on respire un bon coup, on plonge, on atteint nos cibles, on leur sectionne le pied avec notre couteau, on les déloge avec nos gants de combat, on les remonte, on remplit le sac sur le matelas, on se pose un peu et on recommence. On rentre quand on en a beaucoup, beaucoup, on les montre à Maman, on est fier, on raconte tout: comme c'était profond, comme c'était difficile, comme on a eu chaud, comme on a bien failli...
Parce que le fond, c'est très profond. D'ailleurs, on ne le voit même pas, le fond.
Les abysses m'attirent : il y a des poteries romaines très jolies, des galions espagnols, des temples, des statues de civilisations extraordinaires.
Les abysses m'épouvantent il y a carcasses de baleine, des êtres hybrides qu'on n'a jamais vus, des pieuvres géantes qui peuvent s'enrouler autour de nous, nous tirer...
Mon père répète les consignes: " ajuster masque et tuba, plonger, d'une main gantée, saisir les oursins, de l'autre, décoller le pied avec le couteau, remonter par paliers, mettre les oursin dans le grand sac sur le matelas, attention les doigts, respirer, se poser et quand on est prêt, recommencer "
J'ajuste la visière de mon heaume, referme mes machoires sur le tuba, fourbis mes gants de maille, me saisis de mon poignard et j'inspire un bon coup... Mon frère a déjà plongé. Mon père, me lance, avant d'y aller : " Garde bien le matelas, tiens- le, il y a quand même une légère brise ... Fais attention ! "
Je garde le matelas, j'attends mon tour, la gorge serrée, je scrute les profondeurs, ils remontent ensemble, soufflent, déversent leurs premiers oursins, commentent.
Ils vont y retourner ?...
Avant de remettre son tuba en bouche, mon père me recommande à nouveau : " Fais bien attention à ne pas verser, tiens -le, le sac, ça bouge, il y a des petites vagues, ce serait ballot de tout perdre... "
Au risque d'être ballotte, je crie " De toutes façons, j'aime pas les oursins , ça me dégoute vos oursins ". Je rentre à la nage. Le matelas pneumatique et son précieux butin s'éloignent doucement.
Bien obligé de me suivre, mon père récupére le matelas, mon petit frère s'y accroche pour pouvoir rentrer. J'entends:" Tu sais, ta soeur, pfffouou!!!! "