SANS PLUS PENSER A RIEN

      On a attendu l'heure d'Emilia mais elle ne venait pas. Elle ne vient pas. Elle est au Sri Lanka ce mardi. Sûrement.
Alors sans plus penser à rien... à rien...

      Je ne sais pas où je vais, j'ai confiance.
La confiance est de mise. Pour vivre, je veux dire, la confiance est de mise. Bon, sauf chez les Inuits. Comment peut on être inuit? Commenta t-on eu l'idée de construire toute une civilisation dans ce froid de canard... de phoque... d'ours blanc... Laissons le Pôle Nord aux pingouins. Eux sont confiants.
La confiance est de mise... Si j'ai pas à lutter contre le froid, je l'ai déjà dit.
Mode d'emploi de la vie: Confiance. Con-fiance. Parle t on de confiance inconditionnelle comme on parle d'amour inconditionnel?
Ah oui, la confiance, c'est l'amour!
Alors c'est quoi le contraire? quand on n'a pas confiance, on a peur...
Bon alors d'accord, j'ai confiance... Sans plus penser à rien... l'aventure est au bout de la rue... Tout me profite. Je profite...

      ...Je sens mon jardin qui frémit sous le soleil acide de février, qui s'étire, qui a envie, qui déborde;il attendait son heure. Il ne peut plus attendre, il m'attire, il m'appelle. Malgré les scories, le bois mort, les feuilles mortes, le paillage, il veut, il me quémande, moi, le chef d'orchestre.
Et moi, je veux le faire tout beau,je veux le décorer tout  charmant.
J'ai hâte de le  ratisser, le rafraîchir, de le recevoir, de l'arranger,quoi!
Les reins rompus, la terre humide sous les sabots, j'en mets plein la maison, les bouts de doigts pleins d'épines, " la binette... elle est où la binette?... je l'avais posée là; j'en suis sure!..." Le rouge gorge qui me suit, qui m'accompagne, qui me nargue " la petite pelle? Qui est ce qui l'a piquée?" "Allez le hérisson, bouge!, l'hiver est fini! Bon, je te fais un abri plus loin..."
Ca va, ça va bien, c'est beau, ça s'embellit, c'est prometteur, ça va  être beau! ça va être beau! Qui a le plus confiance, moi ou mon jardin? C'est emmêlé, c'est imbriqué. Mon jardin a confiance, c'est sûr, c'est normal; c'est sa vie de jardin.
Moi, j'ai envie, j'ai confiance, j'ai le goût, oh que j'ai de goût!
Je suis la reine de mon jardin, je suis dans mon jardin, je suis mon jardin et pourtant constamment il m'apprend que je ne suis pas la maîtresse du monde; c'est mêlé, nous sommes emmêlés. Nous grandissons ensemble, nous nous transformons ensemble.
Je le civilise; sans moi, il serait la nature; avec moi il est un jardin.
Le clocher sonne quatre heures, le soleil s'éloigne derrière la montagne, j'ai un peu froid, je suis un peu fatiguée, je n'ai plus de force, j'ai pas fini; encore une brouette... encore un petit peu... Juste là, derrière les branches, et puis après j'arrête. J'ai froid, vraiment.
Ça va être beau! Ça va être beau!

Sans plus penser à rien. Heureuse. Fatiguée. Froid. Demain. Encore.

Mais vous ça vous est égal.