Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
T O H U B O H U
7 mai 2011

QUAND LE VIDE EST PLEIN

      M. le professeur Dupont travaillait beaucoup et étudiait énormément. Il travaillait toute la semaine et tout le week end. Nuit et jour. Il travaillait tout le temps.

      Il était parvenu au sommet de son art ( la néo-chirurgie plastico- morpho-psychologique-existentielle ) mais il  ne s'en rendait pas compte et il traversa sa maturité en continuant à accumuler des connaissances avec l'élégance de celui qui ne montre pas qu'il cherche et qui affecte même de savoir pleinement où il va. Aussi, les gens qui avaient affaire à lui se sentaient en confiance et juraient avoir trouvé en sa personne, la solution à tous leurs maux. Ils  guérissaient. Et très rapidement. Pourtant, M. le professeur Dupont ne cessait pas d'accumuler de nouvelles théories ; jamais aucune petite voix intérieure ne vint lui confirmer qu'il avait atteint l'excellence. En dépit des compliments de ses patients ou de la considération de ses collègues, il se vécut toute sa vie comme un imposteur. Il était persuadé que d'autres collègues valaient mieux que lui. Tous les autres d'ailleurs. Non pas qu'il eût démérité  mais il n'était simplement pas convaincu de sa valeur, de son talent ( qu'on nommait généralement génie ) et plutôt que d'afficher le désarroi, l'inquiétude, l'angoisse qui l'envahissaient, il  préférait montrer une sorte de satiété; il semblait repu de connaissance, rempli à ras-bord  d'informations, d'études, d'acquisitions, gorgé de savoir emmagasiné, entendu, compris une bonne fois pour toutes et plein de savoir-faire comme une seconde nature. Son gros ventre en avant appuyait sa réputation. Mais, au lieu de lui prouver sa supériorité reconnue, son succès international ne venait que confirmer son sentiment d'insuffisance.

      C'est seulement dans l'intimité de sa voiture, ce sas isolé et protecteur, qu'il quittait sa façade d'omniscient compétent, au diagnostic intelligent, à la technique inégalée et au gros ventre rassurant. Pendant de longues heures sur un parking, il se rongeait les ongles en songeant au prochain diplôme qu'il s'imposait absolument d'obtenir et au prochain stage qu'il se devait d'effectuer en lieu et place de vacances reposantes.

 

      Ce jour là, il apprit par la radio que le prix Nobel lui était décerné. Il soupira et imagina qu'une grosse aiguille lui piquait le ventre. Lui, l'usurpateur, il dégonflait, dégonflait, dégonflait. Il ne restait plus qu'une enveloppe vide.

      Sur les photos des journaux relatant la cérémonie, on voit le bon Docteur Dupont qui reçoit le prix Nobel d'un air crâne, entendu, évident avec une sorte de lassitude complaisante.

Publicité
Publicité
Commentaires
T O H U B O H U
Publicité
T   O   H   U     B   O   H   U
Derniers commentaires
Publicité