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T O H U B O H U
21 novembre 2015

EXTENSION JALON

      Kevin sortit précipitement de la pièce, soulagé; il avait affreusement mal à la tête, la réunion avait été longue et il en avait marre de toujours répéter les mêmes choses, les mêmes arguments pour obtenir les fameuses autorisations. A l'aide des nanotechnologies, il s'employait à calculer la distance exacte entre notre planète Terre et l'astéroïde B612. Tout le monde le savait! Il avait soutenu son projet avec fermeté comme d'habitude.  Il y avait consacré sa vie, il était chercheur, grassement payé ( 2,5 fois le SMIG ), reconnu par ses pairs et respecté par les plus grands de la planète, tous ses travaux avaient enclenché  une grande avancée pour la science, pour l'humanité. Il avait concocté un système complexe de mini robots émetteurs d'ondes électromagnétiques oscillatoires vibratoires de particules élémentaires quantiques qu'il convenait d'implanter sur un être  vivant, bouclé. Et il le répétait sans arrêt. Bouclé, frisé, c'était La contrainte pour une obscure raison de nanotechnologie que nous ne détaillerons pas ici. Sur ce point précis, les autorités diverses, la SPA par exemple, s'opposaient. Pas question d'implanter quoi que ce soit sur des êtres vivants ainsi en avait décidé  "l' Institut de Cosmologie Doctorale et de Rayonnement Electro magnétique Quantique des Ondes Gravitationnelles ".

      Il entreprit, pour se détendre de faire le tour du lac en petites foulées. Comme tous les jours, après le travail. Désabusé, c'était là toute sa vie privée, tout ce qu'il s'autorisait à vivre en dehors de ses recherches: un tour de lac en petites foulées. Résigné? Il semble que sa vie lui convenait pourtant. Il avait investi sa force, son coeur, son espoir dans cette entreprise qu'il comptait mener à bien avant la retraite: trouver la distance Terre-B612 ( et c'était là son  secret, sa force intérieure ) afin de couler, soi-même, des jours heureux sur l'astéroïde B612 en taillant des baobabs invasifs et en arrosant une rose, sa rose dont il serait responsable. Il attendait son heure, lui qui n'avait eu ni femme ni enfant.

Ni chat.

Ni poule.

Ni cochon d'Inde.

Ni poisson rouge..

Ni bonzaï

      Il songeait, ému, à Sa rose. Qu'il dorloterait. Peut être même Deux roses ou, pourquoi pas? Trois roses... Qui sait? C'était le prix à payer de cette passion pour l'Astronomie, bien sûr, il n'avait pas de vie privée puisqu'on ne peut pas tout avoir.

Aucune vie privée.

Aucune vie relationnelle.

Vie amoureuse, quoi!

Vie sexuelle, nada. Jamais.

En tournant en rond autour du lac, lucide, il faisait un petit bilan, il se rendait compte et analysait sa vie:

_ " Somme toute, comme mes concitoyens, je vis l'extension de la lutte des classes à la sexualité:je suis bien payé, je suis quelqu'un sans doute important socialement, j'ai du plaisir à faire mon métier, mais je n'ai ni temps, ni énergie, ni probabilité quantique à consacrer à une chérie, je ne sais même pas comment ça marche...  On ne peut pas tout avoir... "

       Kevin était depuis sa plus tendre enfance attiré par le cosmos, l'astrologie. Il était passé à côté de sa vie. Devenu très jeune, chercheur à l'école doctorale d'astronomie et d'astrophysique d'Ile de France, il avait été recruté pour travailler à la prestigieuse université de Cambridge. L'étude de l'univers empli de galaxies à perte de vue, la dynamique de l'expansion de l'univers, les plurivers, la théorie des champs, la mécanique quantique, c'était son monde, sa passion, son pain quotidien. Etoiles, exoplanètes, tous les astres l'attiraient même les planètes gazeuses. Avec la méthode des vitesses radiales il se sentait près du but, il allait bientôt pouvoir connaitre la distance Terre-B612 mais,  mais, pour cela, il lui fallait trouver un être vivant bouclé consentant

 _  " Mais dans quelle galère...? Je suis bientôt à la retraite, pourquoi tout ce stress? Durant toute ma vie, j'ai travaillé, travaillé, j'ai posé quelques jalons tout de même, je devrais en finir assez vite; il ne reste plus qu'à finaliser en trouvant un être vivant bouclé supportant des robots et à moi la belle vie sur B612 "

      Il avait tenté pendant plusieurs années de travailler sur un renard. C'était très compliqué: le renard a des superbes poils roux mais lisses. Surtout, il faut l'apprivoiser, le renard. Et ça, d'autres s'y étaient essayé... Il aurait fallu un mouton pour bien faire, un bon lainage bouclé de mouton. Mais quand ses ingénieurs lui demandaient: " dessine moi un mouton " pour les plans, c'était très difficile, il avait d'autres compétences, mais, dessiner un mouton, il n'y arrivait pas. Quant à dessiner une caisse, avec un mouton dedans... non, ça n'allait pas. Pour les électrodes quantiques!

      Et, c'est en faisant son tour quotidien du lac en petites foulées qu'une enseigne pourtant habituelle lui sauta au yeux, il eut une illumination. " Euréka " dit le chercheur. En un instant, il se vit, peinard, en train de regarder le coucher de soleil de B612, à côté de sa rose ( peut être " ses " roses) ... 

      Il entra résolument, heureux, confiant, serein _  la partie était gagnée _ dans la boutique de toilettage pour chien " au caniche heureux ".

      Une sémillante toiletteuse était là, souriante, accorte, toute frisée, avec un noeud rouge dans les boucles. A côté d'elle, une autre toiletteuse, avenante, ravissante, toute frisée, avec un noeud rose dans les boucles. Et, derrière, au fond, dans l'arrière boutique, une dizaine de jeunes filles, des stagiaires sans doute, gracieuses, toutes frisottées, lui souriaient.

      Kevin pensait qu'on ne peut pas tout avoir.

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