24 HEURES DE LA VIE D'UNE FEMME

       En me réveillant ce matin, j'ai voulu tout de suite  monter à mon rocher. Mon jardin est sous sa couette d'hiver depuis un moment mais je me disais que rajouter une couche de fougères ne pouvait pas lui faire de mal; il y en a plein le long du chemin qui va au rocher. Il y a de la prêle aussi. Oui, ce serait bien. En plus, il y a du petit houx et des branchages sympas pour faire un beau bouquet. Mon cher rocher qui est encore là, qui est toujours là, qui est forcément là, il ne m'attend pas, il est placide, il est.

       Mais c'est tôt. C'est trop tôt, il fait sombre, glacé, brouillardeux, maussade. Tout est givré. Le soleil n'a pas encore réchauffé la journée. Il me faut attendre. Je déjeune,  avec les infos. La chatte aussi,  nonchalamment. Je vais prendre un potiron, le plus gros du tas, le plus lourd, le plus beau, le plus généreux ... Comment choisir ? Ils sont tous superbes, jaunes, orangés, verts, magnifiques, somptueux, débonnaires, plantureux, bonhommes ... Éplucher. Cuire. Je l'entaille, je l'épluche avec force, je mets les gros bouts dans la marmite. Énorme. Plusieurs portions. Congèlerai.  Mercredi ? Ils ne m'ont pas dit.

       Les épluchures dans le seau recouvrent le marc du café et  puis ensuite les cendres du poêle, encore tièdes et aussi ce vieux bouquet tout sec. Le vent me glace, vite une petite salade,  j'irai plus tard au rocher.

       C'est demain  que viennent mes ex collègues, on va au restau, je mets l'apéritif au frais et je recouvre mes pots de conf d'un joli tissu. Très jôli !!!  Ah oui, des sachets de lavande aussi avec le joli tissu africain. Et il en faut pour mes camarades de ce soir aussi.  Ça sent bon ! C'est agréable de puiser  dans les petits grains de lavande à pleines mains ! Mon vernis ! Il est écaillé.

       Je m'applique.

       Quand mon vernis sera sec, je téléphonerai à Jacqueline. Mon répertoire est tout vieux, tout abîmé, envie de faire peau neuve. Changer la panière aussi.
       Les petits voisins tirent la cloche et rigolent " Madame, vous voulez pas du bois? On en a encore coupé trois stères ". Ils sont mignons, je dis oui mais après c'est fini, je vous ai déjà dit que ça suffit, après je n'en veux plus.".  Ils rient. Ils reviennent décharger leurs brouettes. C'est chouette, ils le rangent méthodiquement, par ordre de taille, par ordre d'épaisseur,  par ordre d'arrivée, par ordre alphabétique, je les aide. Je n'ai plus de place, j'ai trop de bois, c'est cher, ça suffit maintenant, c'est la dernière fois de l'hiver, quelques  flocons légers. Ils boudent mes papillotes, ils sont grands, et le thé, ils sont jeunes! !...

       Laver par terre, juste en bas, on rentre, on sort, la boue, la neige, c'est Telma, elle se traîne, elle porte tout à la bouche. La bonne odeur de savon noir. Ça sèche. Le potiron s'égoutte dans la passoire. Les vitres sont embuées Je trie les revues et je retrouve et me plonge dans ce bouquin passionnant, la saga des bourreaux en France dont le premier du nom a eu à choisir entre cet état ou les galères ...

       Le facteur, au fait ! ,mes billets de train ont dû arriver. Brrrr!  Ils ont laissé plein de petits bouts de bois les sales gosses, je vais les enfermer dans des cages très petites, je vais les engraisser avec des trucs pas bons, sans écrans, sans D S,  sans rien et puis je ...  ramasse tous ces branchages pour le feu de  ce soir. " Allo Jacqueline, j'ai quelques revues, je voulais voir la tête de tes poireaux avec ce froid. C'est toi qui passes ? A tout de suite! ". Le thé, le linge sur les radiateurs, un joli pot de conf, une jolie lavande, essorer la salade. Ma boîte mail en l'attendant .Vraiment, je l'adore ce rouge à lèvres.

       On devise, on échange, on décrit, on se moque, on critique, on s'enthousiasme, on rigole, on s'insurge, on s'échauffe, on s'enflamme on s'aigrit, on se ressaisit, on crâne, on se vante, on se pavane, on se gausse, on se prête, on s'extasie, on manifeste, on se rassure. Une fois notre monde refait [ pas complètement, il faut en laisser pour la prochaine fois], c'est pas tout ça, il faut que  j'œuvre à mes sachets de lavande, j'en veux beaucoup . Le soleil  perce un peu ...  mon sac ... mon sécateur ... Ma boîte à œufs ... En passant devant chez la dame des oeufs ... J'espère qu'elles pondent en ce moment ... Je mets mes bottes ou mes baskets pour gravir le coteau ?.... 

       Je profite.