UNE FAUSSE ALERTE

   Plus rien dans les boutiques de vêtements. Rien. Trop jeune. Trop mémère. Plus rien pour moi.
Plus rien à la radio. Rien. Trop moche. Trop sucré. Trop criard. Trop fort. Plus rien pour moi.
Plus rien sur la planète, plus de pays lointain. Trop cher. Trop fatigant. Trop dangereux. Déjà vu. Trop froid. Et l'avion, la couche d'ozone. Plus rien pour moi.

Et la terre est si basse, si dure, gelée, l'hiver ne finira plus et les framboises ne rougiront plus jamais, de toutes façons, je connais déjà leur goût par cœur.

Le lave-linge rotera toujours, hoquettera jusqu'à sa mort, bientôt ; le grille-pain déjà ne grille plus. Tout ce givre dans le frigo...
Et tout le ménage, épuisant, avec la terre sous nos chaussures, la chatte qui salit tant, et les mouches qui chient partout...

La pile de livres a diminué. Une autre tour se monte à côté.

Et le soir, quand c'est fini, vous croyez que ça va s'arrêter
ça s'arrête
pour longtemps, pour un bon moment, pour toujours
pour toute la vie
et le jour qui remet ça, c'est la journée, il faut encore se lever
il faut se lever, encore se lever
La nouvelle alarme anti voleur d'ordinateur va hurler, si je sors
dehors
dans le froid 
dans le vent 
glacial

Est-ce que c'est comme ça la fin de la vie ?
On a trop froid, trop la flemme, pas le goût, de rechercher, de découvrir, de lutter, d'apprécier.

Est-ce que c'est comme ça la fin d'une vie ?
On ne goûte plus que repos, sieste, grasse mat', coucher de bonne heure, vautrage dans un cocon douilleux, sans heurt, sans aspérité, sans montée, sans difficulté.

Est-ce ainsi la fin de vie ?
On ne souhaite plus que la tiédeur du soleil, le réconfort des coussins moelleux, la fermeté du matelas, une petite berceuse de Manu Chao et un édredon avec du thé, pas trop chaud.

Est-ce ainsi la fin ?
On ne peut plus les dénoncer, les détester, les vomir, les maffiosi, les dégueulasses, les exploiteurs de chair humaine et les voleurs d'ordinateur, on ne veut plus, on veut rien.

Est-ce ainsi la fin de la vie ?
On n'aspire plus qu'à les aimer, nos chéris et on ne peut plus les aider, les comprendre, on ne peut plus que les plaindre, on est trop frêle pour les soutenir, on succombe même sous le poids de la pesanteur et même on trébuche quand on tente de se lever, on les regarde, c'est tout, on les aime.

Est-ce la fin ?
On ne peut plus accourir à leur appel, on ne peut plus répondre : " je suis là ", quand ils frappent à la porte.

Est-ce ainsi ?
On s'agace de connaître la fin du film. Plus rien de ce qui est humain ne nous est étranger, on sait tout. Presque. Presque. Tant pis. On s'en fout.

En somme, une vie bien remplie ne mène qu'au trépas.
Une vie pas tellement remplie, aussi. Est-ce qu'il est encore plus triste  de partir, désolée, quand on n'a rien  essayé, rien  aimé, rien rejeté, rien goûté?

Trop fatigant.
Trop difficile.
Plus de force.
Plus envie.
Continuez sans moi.

      Alors, thé ou café, comme vous voudrez, m'est égal !