PENDANT QU'IL EST TEMPS

      Il se fait tard. On cause, on cause, je ratiocine, je tergiverse, je freine, je n'ai pas vu l'âge arriver et maintenant il est bien tard. La fin est proche, l'âge où l'on n'aspire plus qu'à quitter et à laisser tout en plan.
      Je mâche, je rumine ce que j'ai déjà vécu : je contemple, je critique, je regrette, je comprends, un peu, je savoure, je me trouve des excuses. 
      J'aurais dû. Je ne pouvais pas savoir. Je croyais que. J'aurais très bien pu. A l'époque, c'était différent. C'était un signe et je n'ai pas osé. Comment ai-je pu ? Comment n'ai-je pas pu ? Ce serait à refaire... 

      Elle est si vieille. Sa vie a été si longue. Elle a plein de choses à raconter ; des expériences dont elle comprend le sens maintenant. Elle souffre de partout, elle est gênée dans ses mouvements, elle est fatiguée. Elle raconte sa vie, elle ressasse. Elle ne peut plus, elle n'a plus envie de pouvoir, elle ne désire plus le moindre possible. Elle est juste ébahie de tout ce qu'elle n'a pas réalisé, tout ce qui l'aurait amenée à être encore plus elle-même, toute cette intégrité gaspillée.

      Est-ce possible d'être en accord, en paix quand on part ? On sait bien que c'est raté. Est-ce qu'on a besoin de se mentir ? Est-ce qu'on triche encore ? Est-ce qu'on peut encore rire quand on est une toute vieille ? On pourrait partir dans un grand éclat de rire ? une grosse marrade ?

      Elle, elle sourit, un peu, presque poliment.
      Moi, je crois qu'elle ricane.