SALLE D'ATTENTE

      Une salle d'attente dans une petite gare d'une petite ville, la campagne autour. Il ne passe pas beaucoup de trains ; pas des TGV en tous cas, des petits trains, rien que des omnibus. La salle est vitrée, les sièges sont sommaires, fonctionnels, pas salissants, un peu élimés, beaucoup quand même et sales aussi. Une salle d'attente banale, comme dans un roman de Simenon. On y accède par une porte à battants depuis le hall et on va sur le quai par une autre porte à battants. Les murs ont été beiges ou crème ou gris. Une petite porte ouvre sur les lavabos. Il y a une poubelle aussi. Les vitres sont très sales. Elle est seule sur la banquette élimée. Elle la gratte un peu, pour voir, pour user un peu plus. Elle attend dans une salle d'attente d'une gare d'une petite ville.

    Elle est venue pour chasser des souvenirs trop lourds, des souvenirs qui l'empêchaient de grandir, d'avancer. Elle est contente, elle trouve que c'est une bonne idée. Elle attend. Elle ne sait pas quoi. Pas encore quoi. Elle attend que ça fasse effet. Elle regarde les banquettes au skaï élimé et les vitres sales, elle veut les reconnaître, elle veut parvenir à les lancer de toutes ses forces loin d'elle, très loin, elle voudrait s'en défaire, elle donne un coup de pied sous la banquette. Par terre aussi, c'est un peu sale. Il faut d'abord les attraper ces émotions, ces souvenirs et ce n'est pas difficile de viser juste, il faut bien regarder, bien s'en pénétrer et attendre encore un peu dans la salle d'attente. Il a fallu leur tendre un piège à ces cauchemars. Oui, c'est une bonne idée.

    Qui avait lancé ce mauvais sort sinon elle-même? Alors elle l'avait décidé, elle était retournée dans cette salle d'attente désuète et, en la regardant, en l'observant, elle la trouvait bien petite, bien sale, bien vieille, bien inoffensive. Elle continuait d'attendre encore un peu. Elle avait voulu éviter ces moments, ces lieux déplaisants, elle les avait repoussés si longtemps. Elle pensait qu'aller de l'avant suffirait à les dissiper. De toutes ses forces, elle les occultait, elle voulait les nier. Pourtant, c'était un fardeau qu'elle avait accumulé. Maintenant, les choses allaient changer, la vie allait être allégée, souple, douce, captivante. Une salle d'attente d'autrefois dans une petite gare à la sortie d'une petite ville, la campagne autour. Banale, un peu sale. Juste attendre encore un peu. Elle balance ses pieds sous la banquette et elle regarde le quai à travers les vitres sales. Elle sourit un peu. Vraiment, une bonne idée.