APRES LA BELLE SAISON
La brume s'était levée. Alors nous sommes tous sortis. Au soleil.
En me promenant autour de la maison, j'ai tout de suite senti qu'elle ne nous avait pas suivis; elle était restée dedans; déjà préparée à affronter l'hiver, elle n'avait pas eu le goût, trop vieille, trop flemme, elle avait préféré rester sur son fauteuil ou sur son coussin ou sur son lit récupérant la chaleur à travers la vitre. Confiante, elle nous attend, elle se lèche la patte, elle se chauffe.
Sur le petit chemin, nos carcasses, avides, se sont réjouies de la bonne chaleur. On s'est gorgé. Plein la lampe.
Il va jusqu'à la petite route des voitures, le chemin, alors
on va on gambade on revient encore un peu on sourit on marche on laisse entrer the sunshine in on sourit on laisse entrer on va on laisse on contemple on marchotte un peu on vire on s'arrête on continue un peu en avançant... Tiens!... ... Tiens...
... Ci-gît la dépouille...
... de René!
... Même ses chaussures!
... Quand même!... Fin octobre!
on continue on traîne on retourne on brasse on brasse on embrasse encore on regarde on avance on marche on continue encore
Je me rengorge, je me gouleye, je me réassure, je me love dans mon écharpe-tchador chauffée par le soleil, je me réenroule, je me protège, je me creuyotte. Les hommes devraient songer à être jaloux du soleil; il nous pénètre plus profond, il nous transperce jusque dans nos entrailles.
Et je bronze, je tanne, je mûris, je suis un fruit mûr.
Allez, je vais découvrir derrière la maison; à l'ombre du grand tilleul. L'ombre froide. Il y a un chemin derrière le mur. Ça bouge sur le chemin; ça craque; des pas pesants; je m'approche; elles ont peur. Les pôvres! je les déstabilise. Elles passaient benoîtement, tranquillement, lourdement ,magnifiquement, elles allaient... Le troupeau est grand; certaines, stoppées me questionnent avec leurs beaux yeux magnifiques. Allez, les belles, je ne fais que vous regarder! Passez, continuez à être!
Bon, mais, moi, je ne vais pas me laisser envahir comme ça, j'ai envie de commander:
_ Là, ces cyprès, ils sont trop serrés, ils n'ont pas la place, vont mal pousser. Dédoublez moi tout ça!
_ Et ces iris? Vous les laissez comme ça? Vous n'allez pas les désherber?
_ Et ces tilleuls? Ils sont beaucoup trop hauts! Comment voulez-vous que...?
_ Ce cerisier, il est à vous? Et vous ne craignez pas qu'avec toute cette ombre...?
_ Les framboises? Elles donnent? Avec ces broussailles...
_ Cette glycine, vous savez... si vous ne la taillez pas...c'est comme vos bambous!...
_ Et ces noyers tout autour... pas traités... Vous êtes certaine?
Ah comme la nature est généreuse! Un bouquet laissez moi composer rien qu'un petit bouquet! sans déranger Et toutes ces poires écrasées... perdues pour nous... qui redeviennent nourriture de la terre... ces noix, par terre, je ne peux résister... il y en a plein sous les pieds... sous les feuilles des poires aux noix des noix aux poires des poires au chocolat des noix des tartes aux noix dans la salade des feuilles des fleurs pimprenelle Laissez moi arranger notre salade de midi Ah manger la nature fondre se glisser s'incorporer NON! je ne l'exploite pas, je vous assure, je ne me l'approprie pas, c'est elle qui me donne, qui m'offre, qui me demande
J'ai les pieds mouillés. mes sandales sont toutes boueuses. Mon foulard-tchador est bien chauffé, bien douillet.