LA PORTE

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          Il faut toujours une porte fermée. Fermée à clef. Cadenassée. Verrouillée. Hermétique.
Derrière cette porte  
Parfois, il y a des portes intrigantes dans les maisons mais quand on les pousse on trouve un débarras ou une chambre, un rangement.
   Parfois, il y a une porte qu'on n'avait jamais remarquée; on connaissait la maison par coeur depuis tant d'années, on était sûre et, paf!, une porte. Une porte à rêver. Vous aurez toujours des sauvages qui la défonceront, ce n'est pas bien malin, ils ne pourront plus rêver.

          Papa-Maman-Fifille habitaient, bien serrés, un tout petit appart': une petite pièce pour Papa-Maman, une alcôve pour Fifille et une minuscule cuisinette-lavabo. On partageait les toilettes sur le palier avec les voisins, des étrangers qui parlaient très mal.
Papa-Maman-Fifille rêvaient: un jour, quand les étrangers partiraient, ils pourraient louer leur appart'. Une porte condamnée les séparait de l'appart' d'à côté, le similaire, le même, à l'envers.  Ils agrandiraient leur territoire, ils feraient une salle de bain avec toilettes et un salon, un living avec une table basse pour recevoir les invités pour boire l'apéritif.
Derrière la porte.
On entendait la radio des autres, on pouvait respirer leur cuisine _ Fifille aimait bien l'odeur du jeudi, un peu comme des frites _  , bien sûr, on ne comprenait rien à ce qu'ils disaient.

          Un jour, les intrus déménagèrent. Papa-Maman-Fifille purent s'agrandir. Avec joie, ils mirent des poignées à la porte qui ne fut plus condamnée et ils passèrent avec émotion de l'autre côté du miroir. Plusieurs mois, des soirées, des w e  furent consacrés au ré aménagement de tout cet espace. La petite pièce de Papa-Maman resta leur chambre, la petite alcôve resta la chambrette de Fifille, la minuscule cuisine resta la kitchenette; à côté, on abattit la cloison pour le living pour les invités pour l'apéritif et on fit aussi une petite douche-w c bien commode.

          Maintenant, il n'y avait plus de porte fermée.
On ne rencontrait plus les voisins en allant pisser. On ne les entendait plus. On ne sentait plus leur cuisine. Forcément.
Il fallait faire du ménage, tenir propre le living. Les invités ne vinrent jamais boire l'apéritif sur la table basse parce qu'on ne savait pas qui inviter.

          Ils ne rêvaient plus.