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T O H U B O H U
21 novembre 2014

UNE FEMME A JOUR, UN JOUR

 

      Ce jour-là, il ne faisait pas bon mettre son nez dehors. L'humidité vous transperçait jusqu'à l'os, une brume inquiétante vous enveloppait, on ne voyait même pas le mont d'en face, il faisait glacial: novembre, un vrai mois de novembre. C'était pas le jour et elle décida de rentrer, de rester dedans. Dans sa maison. Son antre. Son cocon. Ce cocon douillet qu'elle s'était justement créé pour lutter contre l'hostilité du vaste monde. Dedans. En dedans. Rester et même fouiller en dedans, se concentrer, s'approfondir, se recentrer, se connaître, se reconnaître. Conséquemment , elle décida de se recoucher. Dormir. Les rêves ne sont ils pas le reflet du plus profond en-dedans? Du pur temps à soi, pour soi. Laisser venir. De la vacuité allait naître la créativité, elle allait pouvoir être elle-même. Elle-même à son maximum.

 

      Alors, avant toute chose, elle consulta sa boîte mail. Ne pas s'encombrer l'esprit de toutes ces choses à faire, être à jour dans son courrier, on ne sait jamais. Elle consulta,  elle écrivit, elle répondit, elle rechercha, elle ouvrit tout, les blagounettes pas tellement drôles, les paysages pittoresques un peu barbants, les articles militants, elle signa les pétitions. Voilà, c'est fait. A jour.

 

      Et aussi ses messages téléphoniques. Il était indispensable qu'elle téléphone à sa vieille mère, qui se portait comme un charme, à son  garagiste, c'est important; et là encore, les reçus, les envoyés, tout fut bien nettoyé, le portable sur sa prise se rechargea. A jour.

 

      Son agenda lui parla de cette conférence demain soir, de ce déjeuner avec les ex collègues après demain, des soldes privées de chère cliente privilégiée;c'est bon, c'est pour plus tard, aujourd'hui c'est quartier libre. Libre comme l'air.

 

      Pouvoir entamer un de ces trucs de grande envergure. S'y mettre sans être dérangée. Un truc entre elle et elle. Une journée sans distraction, sans séduction, sans attention, sans compassion: une grande journée rien que pour elle. Enfants au travail, petits-enfants à l'école, amoureux en vadrouille, elle doutait d'avoir des visites surprises, auxquels cas, elle se sentait prête à décliner " ah dommage, je dois sortir... ", bref, une journée dont elle serait le seul objet de recherche, d'étude, d'intérêt, de soin, de considération. Elle allait se réapproprier elle-même avec délice.

 

      Pour s'y préparer elle décida de faire d'abord le ménage. Le ménage à fond. Un grand nettoyage d'automne. Après, elle y verrait plus clair, certainement.Tout serait en ordre. A jour. Quand tout serait bien décrassé, tout bien en ordre, elle pourrait enfin... Bien sûr, c'est excitant de faire le ménage, c'est gratifiant: Jean Sébastien Bach à fond la caisse, ça avance, on voit le fruit de ce qu'on fait, ça rutile mais ça vous prend toute votre force, c'est fatigant. C'est fatigant le ménage à fond: la maison est grande, il faut frotter ( et avec l'âge, hé hé! ), ce n'est jamais fini, ça prend un temps infini, interminable, jamais fini, jamais... et puis c'est sale quoi, si on veut faire comme il faut... tous ces cacas de mouche! Et ce vase qui serait mieux là et ces trois bougies qu'il faut disposer par ordre décroissant et puis ces amours-en-cage comme ça, ça n'a aucune allure, c'est vrai, on a envie de faire la déco en même temps, ce n'est pas du pur nettoyage d'automne sinon c'est une corvée ; c'est cool d'arranger les fleurs séchées, le bouquet ici plutôt que là mais c'est toujours un peu la même chose, non?

 

      C'est comme cirer les meubles... Oui, tant qu'à faire le ménage, autant le faire comme il faut. Ce sera fait. Quoi?, c'est bien le moment de cirer!, ça sent bon, ça brille, et puis une fois par an c'est pas du luxe. Et puis frotter, cirer, ça libère l'esprit. Et on est récompensé par le résultat, mine de rien!

 

      Et puis sur le bureau, rien que de voir tous ces papiers en attente, en attente de classement, il faut jeter, trier, ranger, toute cette paperasse qui traîne... Tout ce qui est à faire, il faut bien le faire! Et le faire bien. Tout à l'heure, elle ne sera plus envahie par toutes cs choses à faire, ce sera fait, elle pourra se poser, elle laissera venir. Ce qui doit advenir. D'ailleurs elle se pose. Enfin. Elle s'arme de la souris. La lumière bleutée sévit.

Juste un petit moment.

Pour se poser.

Avant de s'y mettre.

 

      Quand on y réfléchit, novembre, c'est bien la saison propice pour le changement de vêtements: Vêtements d'été, ça je donne, ça je vais réparer ( tout de suite, ce sera fait, je serai à jour), plus tard? encore un tas... La bonne odeur de lavande, les retrouvailles avec les vêtements d'hiver ( il me grossit ce pull, il m'engonce, ce jean usé, je ne peux pas garder ça, oh ce petit haut, je l'adore ). Non mais ça va aller vite maintenant, elle en a assez fait, elle s'autorise même à bâcler un peu si elle veut ( non, mais oh!, je fais ce que je veux... ),  elle en a marre. Fatigant. A plusieurs reprises, elle caresse une idée voluptueuse. Elle rêve, la pêcheresse,  de plonger corps meurtri et âme flouée dans un bon bouquin qui l'embarque, la repose, la distrait, la séduit. Elle résiste. Pas que ça à faire. Pas aujourd'hui. C'est pas le moment. Si elle veut avoir du temps pour être créative il ne faut pas céder aux sirènes du di-ver-ti-sse-ment.

 

      A propos de livres, la bibliothèque. Non, mais, c'est vrai!  après l'armoire à vêtements, ça ne ferait pas fini si elle ne s'occupait pas des livres. Elle en a beaucoup donnés, jetés, perdus mais ils sont nombreux, là sur les étagères. Longtemps elle les a classés par thème, puis par collection ( c'est si joli ), elle les classe maintenant  banalement par ordre alphabétique par auteur. Mais ils se prêtent, ils s' échangent beaucoup et quand elle récupère ses livres, elle les pose en petits tas, n'importe où, on verra plus tard; C'est alors une grande entreprise que de les recaser à leur place. C'est fatigant mais ce sera fait et ce qui est fait n'est plus à faire... , comme ça, elle sera à jour.Tout un chantier mais il fallait bien le faire.

 

      Les livres des enfants, basta! Ils n'ont pas d'ordre pour les retrouver, ils s'en fichent, ils farfouillent, ils ne rangent pas, ils ne remplissent pas leur temps, les enfants, ils remplissent et vident des caisses  C'est vrai, zut!,elle a quand même autre chose à faire qu'à perdre son temps à classer des livres.

Ou à trier des feutres.

Ou à séparer les clippos des legos.

Ou à assembler les chaussures de Barbie!

Par paires.

Zut, quoi! 

Enfin, ce n'est pas la mer à boire. Vite fait. Et quand ce sera fait... au moins...

 

      D'ailleurs, les petits. Elle allait peut être bien les avoir ce we et, du coup, elle pense qu'elle pourrait leur faire sa fameuse recette. Elle s'attelle à la préparation d'un navarin d'enfer. Ca ne prend pas plus de temps que ça, deux -trois carottes, deux-trois patates, un panais, non, les navets, les gamins, et, hop, ça cuit tout seul un navarin, je congèle et voilà! au moins ce sera fait, je serai à jour pour dimanche.

Si ils viennent.

 

      OK, c'est bon, c'est bon, c'est bon, je m'y mets.

J'attends juste le facteur.

Je porte la poubelle, juste.

Ce sera fait.

Le timing est serré, je n'ai plus de force.

 

      Tiens, ça se lève on dirait, on voit le mont d'en face, le jardin m'appelle, on est bien dehors maintenant, il fait doux.

 

      Non, juste un petit tour, je reviens    

 

 

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